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Le Vidéodrome
15 mars 2007

Ouverture de Jackie Brown

Jackie Brown

Quentin Tarantino

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    Jackie Brown est le troisième long-métrage de Quentin Tarantino, cinéaste du thriller et du film policier souvent caractérisé par sa violence. Tarantino s’est imposé depuis le début des années 1990 comme l’un des plus grands auteurs du film de genre. Il tire son inspiration de ses nombreuses références du cinéma d’exploitation des années 1970 comme le western, les films de kung-fu ou encore la "blaxploitation". C’est de cette dernière influence du cinéma afro-américain que provient son désir de réaliser Jackie Brown, adaptation du roman Rum Punch d’Elmore Leonard. Sorti en 1998, ce film raconte l’histoire d’une hôtesse de l’air qui échafaude un plan audacieux et complexe pour empocher cinq cents mille dollars qu’elle doit transférer du Mexique aux Etats-Unis et ainsi doubler le trafiquant d’armes qui l’emploie et les agents fédéraux qui veulent se servir d’elle. La scène que nous allons étudier est la séquence d’ouverture du film où derrière le défilement du générique, on voit Jackie Brown (Pam Grier) traverser un aéroport dans son uniforme d’hôtesse de l’air. On ne sait encore rien d’elle ou de l’histoire qui va se dérouler. Mais rien qu’à travers ce court générique d’environs trois minutes on apprend beaucoup de choses sur ce personnage et l’univers dans lequel le réalisateur s’apprête à nous embarquer. La question est donc de savoir comment Quentin Tarantino présente-t-il son héroïne dès le générique dans une scène structuré à l’image du film ? On analysera donc cette séquence à travers cet axe et trois parties : tout d’abord le coté seventies que prend le film, puis la caractérisation d’une anti-héroïne et enfin un personnage seul contre tout.

 

  1. Plus qu’un hommage à la Blaxploitation, une réappropriation

    1. Un petit air de 70’s
  • La chanson soul et funk de Bobby Womack, Across 110th street (1973), frappe d’entrée et donne à la séquence une saveur assez groovie qui nous transporte dans l’ambiance des ghettos afro-américains des années 70.

  • La séquence n'est pas sans rappeler l'ouverture du Lauréat (The Graduate, 1968, Mike Nichols)

  • La mosaïque de carrelage sur les murs de l’aéroport donne un coté un peu kitch au décor.
  • Le lettrage jaune et marron et très stylisé du générique, rappel celui des films des années 70-80, avec une tendance chaude et chocolatée qui fait ressortir le côté de velours de l’actrice noire.

    1. De Foxy à Jackie Brown
  • Ce n’est un secret pour personne, Tarantino a voulut à travers ce film rendre hommage à une des actrices cultes de son enfance, Pam Grier, véritable icône du cinéma d’exploitation "black" des années 70.

  • Jackie Brown nous apparaît fixe, droite et immobile comme une statue portée en procession, par un tapie roulant qu’on devine, à la façon d’une Madone portée procession comme l’icône qu’elle est pour Tarantino.

  • Jackie Brown n’est pas un remake nostalgique de la Blaxploitation. Le personnage de Pam Grier n’est pas traiter comme la jeune sexe symbole qu’elle était mais bien comme la femme d’âge mure qu’elle est désormais. Les années sont passées et le film traite davantage des personnages aillant connut cette période que de la Blaxploitation en tant que tel.

  1. Jackie Brown, une anti-héroïne par excellence

    1. Caractérisation physique
  • Fait assez rare pour être signalé, Jackie Brown, le personnage principal de la séquence et du film est une femme qui plus est noir de peau.

  • Tout aussi rare il s’agit d’une femme mure et un peu enveloppée ce qui est tout aussi improbable dans le cinéma américain où il existe peu de credo pour les personnages féminins dans la fleure de l’âge.

  • Une femme mure certes, mais également élégante et sexy.
  • Ce qui est étonnant c’est que l’héroïne est une femme alors que Quentin Tarantino avait jusque là développer un univers principalement, pour ne pas dire exclusivement, masculin dans ses précédentes œuvres.

  • On devine qu’elle est hôtesse de l’air grâce à l’uniforme bleu de sa compagnie. Un métier qui fait rêver et qui est l’objet de beaucoup de fantasmes mais qui dans la réalité quotidienne du personnage n’est pas si reluisant que ça.

  • Elle semble flotter dans les airs à son apparition quasi divine que l’on suit grâce à un magnifique travelling latéral.

    1. Une attitude affirmée
  • La musique démarre réellement à son apparition, et le spectateur ne peut s’empêcher de lui associer cet esprit funk mais aussi les paroles de la chanson qui, comme beaucoup de musique noire, dépeint le combat d’une personne dans son ghetto qui ne se laisse pas abattre. C’est donc une battante.

  • Au début de la séquence, son uniforme bleu la fait fondre dans le décor carrelé également bleu. Elle est tout d’abord invisible puis elle dénote enfin et ressort à l’écran quand le mur carrelé passe du bleu au marron. C’est à ce moment que le titre du film, et donc son nom, est affiché en plein écran et que la musique repart de plus belle.

  • Jackie fait preuve d’une grande assurance. Elle avance droit devant elle sans détourner le regard. Elle passe avec désinvolture et une sérénité à toute épreuve devant la douane. Cette assurance est renforcée par le fait qu’elle soit filmée, toujours en travelling latéral ou arrière mais surtout à plusieurs reprises en contre-plongée ce qui lui confère une certaine aura de puissance et de volonté. Jackie Brown est une femme sûr d’elle consciente de sa beauté et du pouvoir que cela lui procure.

  • Malgré son retard et sa course dans les couloirs de l’aéroport, elle se présente fraîche et disponible aux passagers qui embarquent, comme si de rien n’était. Elle est consciencieuse, pragmatique et sait faire face à une situation dans laquelle elle n’est pas à son avantage.
  • Jackie est filmé en plan rapproché lorqu’elle souhaite la bienvenue aux passagers. On peut considérer qu’elle s’adresse également au spectateur dont elle sera l’hôtesse pendant la durée du film qui est assimilé au voyage.

  1. Seule contre tout

    1. Une course contre le temps

  • La musique funk est rythmée tel une horloge ou un métronome. L’accord de celle ci avec l’image montre la minutie du timing de Tarantino car elle semble être calquée sur les moindres faits et gestes de Jackie et en particulier son accélération progressive. Le plus magnifique étant une envolé de xylophone au moment où la caméra toujours en mouvement et dans un plan filé, passe devant un mur en mosaïque strié de couleurs tel un arc-en-ciel.
  • Cet enchaînement magnifique de longs travellings par Tarantino permet une grande fluidité de la séquence que l’on a l’impression de suivre en temps réel.
  • Jackie Brown immobile sur le tapie roulant qui défoule, semble l’emmener inéluctablement vers son destin.
  • Il s’agit d’une course contre la montre permanente. Contre le temps, tout d’abord parce qu’elle accélère progressivement le pas tout au long de la séquence jusqu’à courir et même faire la course avec l’avion qu’elle regarde sur le tarmac de l’aéroport. Elle n’a plus le temps de traîner et de se préoccuper de son apparence.
  • Le personnage de Jackie Brown évolue durant la séquence. Elle passe d’une hôtesse qui se fond dans le paysage à une femme fatale emprunte d’assurance et de certitudes puis à une femme pressée et désemparée par le temps pour enfin être une femme soulagée et heureuse d’avoir réussit. Ce sera également son parcours durant le film.

    1. Un personnage à contre-courant
  • Au début de la séquence Jackie Brown avance sur un tapie roulant. Elle attire le cadre comme un aimant qui ne la lâche plus dès qu’elle apparaît. Arrivé par la droite elle se dirigera toujours vers la gauche et donc contre le sens de lecture occidental (gauche vers droite).

  • Toujours situé à la droite du cadre pendant la première partie du générique elle se présente de profil au spectateur et fait face aux noms prestigieux du casting qui interpréteront ses victimes et ses adversaires à la manière d’un duel de western.

  • Le plan des bagages passés aux rayons X montre plusieurs choses : tout d’abord une présence redondante de la couleur bleue dans toute la séquence mais aussi le suspense que les éléments précédents ce plan ont engendré. La musique et l’empressement de Jackie Brown nous font attendre à tout. On s’attend à voir dans une bombe, un revolver ou des kilos de drogues dans un des bagages, mais non. La douane qui aurait put être un obstacle n’est qu’une simple formalité. Le passage du détecteur de métaux qui insiste sur le bas ventre d’un passager renforce cette hypothèse mais en y ajoutant une connotation sexuelle ce qui ne serait guère étonnant de la part du réalisateur de Pulp Fiction.

  • Lorsqu’elle marche d’un pas assuré mais tranquille, filmée en travelling latéral et en contre-plongée dans le hall de l’aéroport, elle avance contre la majorité de la foule de voyageurs qui se déplacent vers la droite du cadre. Jackie est définitivement un personnage qui va contre les conventions.

  • La musique, toujours omniprésente et avec qui elle est assimilée, est une critique du système. Faisant parti de la contre-culture américaine noire, cette chanson évoque l’envie de sortir de l’enfer du ghetto malgré la pression sociale.

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    Quentin Tarantino nous expose dans cette séquence d’ouverture de Jackie Brown, une héroïne qui pouvait paraître jusqu’à ce film, improbable dans son univers nourrit à la testostérone. Au-delà de l’hommage et de la déclaration d’amour qu’il fait à l’actrice de son enfance, on peut voir le magnifique portrait d’une femme complète, forte, rebelle, avec du caractère mais qui est néanmoins sexy et très féminine. Cette scène pourrait être un court-métrage aillant sa propre entité indépendante avec sa structure narrative et une certaine virtuosité dans sa réalisation. Il s’agit d’une séquence sur le temps qui passe, avec une conception incroyable de minutie dans son timing et l’accord parfait entre l’image et la musique funk. Ce n’est donc qu’en maîtrisant le temps qu’on peut en montrer l’essence même. Le temps et l’âge qui passe ou comment s’envoler vers le paradis avec classe et avant qu’il ne soit trop tard est le thème de ce générique mais aussi du film en son entier qui reprend cette structure d’exposition, de montée en puissance progressive puis frénétique pour arriver à une conclusion de soulagement qui nous invite au voyage tout comme l’invitation de Jackie Brown de monter à bord et ce son de décollage sur le fondu au noir achevant la scène.


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Commentaires
R
Je me permets de mettre un lien dans mon blog vers votre excellente analyse séquentielle. Beau boulot.<br /> <br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br /> <br /> Rafael (http://tarantinoq.blogspot.fr/)
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